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Aneurysmal Pathology Foundation
Texte du Professeur Raymond Limet
Samedi 27 novembre 2010 16:51
Liège
Les AAA

Pour une chirurgie basée sur l'évidence


Des patients meurent de rupture d'anévrysme de l'aorte abdominale ; or, depuis soixante ans, nous  disposons  d'une  chirurgie applicable  aux  anévrysmes. Dès lors,  on n'a  cessé de prôner  la nécessité  d'opérer les AAA. Cette  attitude est-elle justifiée par les résultats ?
 

En matière de chirurgie du  cancer  rectal,  il  est relativement facile  d'apprécier les effets  de la chirurgie sur la mortalité du cancer  du rectum,  puisque  la survie  naturelle  des cancers   non  opérés   est  bien   connue  et  relativement  stable.  Par  contre, quelle   est l'histoire naturelle de l'anévrysme de l'aorte  abdominale ?  La connaître serait  essentiel pour  avoir   si  la  mortalité et  la  morbidité de  la  chirurgie prophylactique des  AAA sont largement justifiées par  l'économie de  morts   par  rupture qui  seraient  survenues sans cette  chirurgie prophylactique. Deuxième question, encore  trop  peu  souvent posée  :  le traitement  endovasculaire, sans doute, mais  même  le traitement ouvert classique,  nous assurent-ils vraiment de toute  survenue ultérieure de rupture ? Seule une  réponse  claire à  ces  deux   questions  permettra  de  dire   que   le traitement  des  AAA  est   basé  sur l'évidence.

 

A. L'histoire naturelle des AAA non opérés


L'histoire naturelle des  AAA, telle  qu'elle  est  décrite  dans  les  premiers travaux, notamment ceux  de SZILAGYI,  est  abominablement  mauvaise, parce  que  les seuls  cas diagnostiqués l'étaient  du  fait  des  dimensions importantes  de  l' anévrysme.  Quand  on tente  d'apprécier par  des séries  cliniques quel  est  le taux  de mortalité des anévrysmes non   opérés,  détectés  par   des  méthodes  modernes,  on  obtient  des  chiffres  moins effrayants que  ceux  produits par  SZILAGYI,  mais  souvent  biaisés  en raison  du  type  de sélection. Signalons  par  exemple  l'étude de NEVITT, parue  dans  le New  England  Journal of  Medicine   il  y  a  12  ans,  qui  donne  de  l'histoire  naturelle des  petits  anévrysmes de l'aorte  abdominale une vision bien optimiste.

 

Quel  que  soit  l'intérêt  dérivé des  études  cliniques, il  apparaît que,  a priori,  la meilleure façon d'obtenir la vérité  est d'étudier des séries autopsiques provenant de pays où   la   pratique  de   l'examen  post-mortem  est   quasiment  de   règle,  tels   les   pays scandinaves. Précisément, l'étude des autopsies réalisées  quasi  systématiquement  dans la ville  de Malmö, en Suède, de 1958  à 1986, montre une prévalence masculine, bien sûr et  une  prépondérance croissante dans  les  groupes   d'âges  de  69  ans  et  au-delà ; le maximum se trouve dans  la  tranche 80-89.  Variation en  fonction du  sexe,  variation  en fonction  de  l'âge, mais   aussi  variation  en  fonction  de  l'époque.  En  effet, sur   cette trentaine d'années, il apparaît  une  augmentation du nombre d'anévrysmes autopsiés par an.  Le nombre d'anévrysmes est  multiplié par trois  entre  1958  et 1986.  Enfin  et surtout, on  constate que  le  nombre de  ruptures d'anévrysmes de  l'aorte constatés à l'autopsie, plus  celles  qui ont  été vérifiées par  les protocoles opératoires et les dossiers  médicaux du seul  hôpital de  la ville, a été  de  5,6  par  an  et  par  100.000 habitants, soit  8,4  pour  les hommes et  3,0  pour  les femmes. L'incidence est  la  plus  haute  entre  80  et  89  ans chez l'homme, et  au-delà de  90  ans  chez  la  femme. Analysons   un  peu  plus  cette   série  de ruptures:  de  215  individus répertoriés comme   ayant  connu  une  rupture d'anévrysme, 104  sont  arrivés vivants à l'hôpital, 61 ont  été  traités chirurgicalement et  la  mortalité opératoire a été  de 57%. Autrement dit,  nous  avons  une  mortalité totale de 84%  en ce qui concerne les ruptures.

Dans  la même  ville,  14%  du  total  des anévrysmes autopsiés montrent des signes de  rupture. En d'autres termes, un  anévrysme sur  sept  seulement a entraîné la  mort. Bref,  il  faut   opérer sept  anévrysmes de  l'aorte  abdominale pour  en  sauver un.  Toute mortalité  opératoire immédiate ou tardive, toute morbidité grave, diminue notre  rapport d'efficacité et  de  bénéfices. Toutefois, cette  approche est  simpliste, car  quelque chose manque  dans   cette  très    belle  étude  suédoise,  c'est    la   notion  du   diamètre  des anévrysmes. Si l'on  a pris  comme   critère de  définition de l'anévrysme la  présence  d'un diamètre maximal supérieur à 3,5 cm,  il se peut  que les petits anévrysmes soient surreprésentés dans  cette  série  autopsique, ce qui  contribuerait à diluer  le pourcentage de  rupture. Par ailleurs, ce n'est  pas  tout  à fait  100%   de  la  population, mais  85%  des patients  décédés qui   ont   été   autopsiés,  ce  qui,   dans   un  autre  sens,   contribue  à augmenter dans la masse autopsiée, le groupe  des morts  subites  ou inexpliquées.
 
À  cette série  autopsique quasi  systématique de  Malmö, comparons celle, américaine,  de  DARLING.  Il a  mis   en  évidence,  dans   un  grand   nombre  d'autopsies réalisées au Mass General  de Boston, la taille  de l'anévrysme et l'incidence de la rupture évidente lors  de l'autopsie. C'est  ainsi  que l'on  peut  voir  que les petits anévrysmes, entre 4 et  5 cm,  sont  rompus pour  10%  d'entre eux,  que  de 5 à 9 cm,  le taux  de rupture est de  25%  à peu  près,  pour  s'envoler au-delà 7 cm  de  diamètre jusqu'à 40%  et  plus  de ruptures. Ici aussi, deux  réserves sont  nécessaires : la première, c'est  qu'il  ne s'agit  pas d'une  région où l'on  fait  des autopsies quasi  systématiques. Ceci contribue, évidemment, à  augmenter la part  des ruptures anévrysmales dans  le total  des autopsies. La deuxième remarque est d'ordre méthodologique. Le diamètre aortique mesuré  sur un cadavre  est nécessairement plus  petit  que  le  diamètre qui  aurait été  mesuré  de son  vivant, puisque nous   n'avons plus  ici  le  facteur  de  dilatation  aortique résultant de  l'existence  d'une pression artérielle.
 

Il y  a  dix   ans,   le  Docteur  SAKALIHASAN   a  fait   une  revue   rétrospective   de l'ensemble  des  anévrysmes  non  opérés  immédiatement.  Il a  constaté  des  chiffres d'augmentation du diamètre et de l'incidence de rupture, dont  je rappelle  simplement  les seconds.  L'histoire naturelle des anévrysmes en ce qui  concerne  la rupture est  donc  une fonction du  diamètre tel  qu'il  est connu  au moment du diagnostic, mais  la rapidité de la croissance est  une  chose  individuelle :  on  peut  le  caractériser lorsque   l'on  dispose  de deux  ou  de plusieurs mesures  successives. Le caractère rétrospectif de notre  revue  fait qu'un  plus  grand  nombre de ces anévrysmes ont  évolué  jusqu'aux conditions de rupture, soit  par  refus  du  patient de  subir  une  opération prophylactique, soit  par  négligence du médecin référant.

 
Quelle  est,  de l'autre côté,  la mortalité de la mise  à plat  élective  de l'anévrysme de l'aorte abdominale ? Les chiffres de mortalité  varient suivant plusieurs facteurs, dont le premier est de nature historique. Il est clair  qu'il  y a eu une amélioration  constante de la  chirurgie  élective de  l'anévrysme, alors   que  les  résultats de  la  chirurgie dans  des conditions de rupture sont  restés  aussi  médiocres. Quand  on compare  les résultats d'un même  hôpital par  tranches de dix  ans, on voit  apparaître une  différence marquée entre les années  soixante-dix, quatre-vingts et  quatre-vingt-dix. Des différences existent aussi bien  entre  les hôpitaux eux-mêmes, et  enfin,  il est évident qu'un  groupe  chirurgical dont les résultats ne sont  pas excellents n'a  aucune  raison  de se précipiter pour  publier ceux­ ci.  Par conséquent, la littérature  médicale est  évidemment biaisée  dans  le sens de bons résultats opératoires.

 

Pour  pallier cette  difficulté, il  est  intéressant de  parler   d'une  étude   américaine réalisée  par  l'administration  fédérale ; elle  compare l'évolution  de  la  mortalité de  la chirurgie de l'anévrysme dans  un état  américain, telle  qu'établie à partir des documents légaux  conservés dans  chaque  hôpital. On fait  ainsi  une  étude  systématique qui n'oublie aucun   centre.  La  mortalité qui  en  ressort n'est   pas  négligeable du  tout. Cette  étude montre que  les chiffres  que nous citons  habituellement, et de bonne  foi, sont  en fait  des chiffres embellis. Par ailleurs, si  un  jour  un  même   travail administratif était   fait  pour définir la  mortalité des techniques endovasculaires, nous  verrions aussi  que  les chiffres publiés à ce moment-là apparaîtraient embellis par  rapport à ceux  que  l'on  nous  donne actuellement pour  acquis.  Quoi  qu'il  en  soit,  si  nous  admettons qu'au  fil  du  temps, la plupart des  centres  qui  pratiquent la  chirurgie de l'anévrysme obtiennent une  mortalité autour, disons  de 2%,  il  ne  faut  pas opposer  ces 2%  aux  14%  de mortalité par  rupture spontanée que nous avons  rencontrés dans les séries  suédoises sans y mettre des commentaires.

1)  Les 2%  de  mortalité opératoire concernent l'ensemble des  porteurs d'anévrysmes, c'est-à-dire  également les 86%  d'entre eux  qui  ne seraient  pas morts de rupture.

2)  N'oublions pas  non  plus  que  la  mortalité par  rupture est  la  plus  importante dans  le groupe  d'âge  de 80 à 89  ans, de sorte  que  si l'on  exprime la mortalité, non  pas en termes individuels de vie  interrompue, mais  en termes d'années  de vie perdues, nous voyons  que  chaque  mort périopératoire dans  la chirurgie prophylactique de  l'anévrysme représente une quantité d'années  de vie perdues  plus  importante que celle qui résulte de la mort  plus tardive, par rupture à 86 ans, par exemple.

3) À l'opposé, les anévrysmes recensés  à l'autopsie avaient  (pour  combien  d'entre eux ?)  des dimensions entre  3 et 4 cm de diamètre, qui les auraient disqualifiés pour  une chirurgie prophylactique selon les critères  de l'ensemble de la communauté chirurgicale ; la comparaison est plus  favorable si nous la faisons  avec les 25%  de la série de DARLING concernant les  anévrysmes de 4 à  7 cm ; elle  serait  encore  beaucoup  plus  favorable  si nous  la faisons  avec  l'incidence de rupture observée chez des patients dits  à haut  risque de rupture. Ceci nous  amène,  inévitablement, à parler  de facteurs  qui affectent l'histoire naturelle de la maladie, en d'autres termes, quels  sont  les éléments annonciateurs d'un plus grand  danger  de rupture chez le porteur  d'anévrysme ?

 N'y  revenons pas.  Si l'on  convient que  les  gros  anévrysmes doivent être  opérés, qu'en est-il  des petits  anévrysmes, et qu'appelons-nous, d'ailleurs, un petit  anévrysme ?

 Dans   l'étude  britannique  bien   connue,  les  petits  anévrysmes ont   une   taille maximale comprise entre  4 et 5,5 cm. En assignant les patients de façon randomisée soit à  la  chirurgie  immédiate,  soit   à  une  chirurgie  différée  quand   le  diamètre devient supérieur  à  5,5   cm,   on  montre  finalement  que   l'on   obtient  des  courbes  de  survie similaires dans  le  groupe de  patients opérés   d'emblée et  dans  le  groupe   de  patients opérés  au terme d'une  expectative armée.  Au bout  de dix  ans, il apparaît  quand  même une  tendance positive pour  le  groupe  qui  a été  opéré  d'emblée. Janet  POWELL attribue cette  meilleure survie  tardive au fait  que les patients opérés  ont  été  d'emblée  conscients de  la  nécessité  de  cesser  tout   tabagisme, et  que  la  continuation du  tabagisme  dans l'autre groupe  a d'une  part  contribué au développement plus  rapide  de l'anévrysme, mais aussi  au  développement  de  toutes   les  comorbidités  cardio-vasculaires fatales. L'étude des  Vétérans, publiée le mois  dernier dans  le  New  England  Journal  of Medicine,  aboutit aux  mêmes  conclusions, alors  pourtant que la mortalité opératoire de 5,8  attestée  par les chirurgiens  britanniques  n'est   que  de  2,7  dans  l'étude  américaine. Les  conclusions identiques de ces deux  études (où  la mortalité opératoire varie  du simple  au double)  sont que  moyennant une surveillance sans faille,  le fait  d'attendre une taille  maximale de 5,5 cm pour  opérer  les anévrysmes n'entraîne pas un excès de mortalité durant  la phase  de surveillance, alors  que  le bénéfice  économique  et  humain  est évident, puisqu'on  épargne des  frais  et  des souffrances inutiles à ceux  qui,  dans  l'intervalle, sont  morts  de causes non liées à une rupture de l'anévrysme de l'aorte  abdominale.

 La notion de taille maximale est donc  cruciale, et je veux  bien  adhérer  aux recommandations engendrées par ces deux  études, d'un  point  de vue statistique. Il reste que  sur  le  plan  individuel, il  est  pénible  de devoir  expliquer à une  famille  dont  le  père vient  de mourir  de rupture pourquoi, le diagnostic  étant  connu, on n'a pas opéré plus tôt.

Donc, si la taille  actuelle  de l'anévrysme ou l'accélération de croissance  représente une  règle  pratique  pour  déterminer le moment de l'indication opératoire, ceci ne met  pas à l'abri   certains   de  nos  patients qui  font  exception à la  règle  et  subissent une  rupture alors  que  le  plus  grand   diamètre est  en  dessous  de  5  cm.  Il faut  donc  moduler  les indications opératoires liées  à  la  taille   en  fonction d'autres  variables biologiques, par exemple  la continuation du tabagisme et l'hypertension.
 

B. Les AAA à risque de rupture

 
Par-dessus  tout, une  histoire familiale d'anévrysmes de l'aorte abdominale est un facteur  péjoratif pour  l'évolution des AAA. Il y a quelques  années, nous avons isolé, dans notre  groupe d'anévrysmes opérés   des  patients  dans   l'ascendance, la  fratrie  ou  la descendance  desquels  il y avait  d'autres exemples d'anévrysmes de l'aorte abdominale. Nous  avons  ainsi  constaté que  dans  cette  série  locale,  donc  très  modeste, le diagnostic d'anévrysme  de  l'aorte  abdominale était   fait   dix  ans  plus  tôt   chez  ces  anévrysmes familiaux, et  que  le  diagnostic  était   fait,   malheureusement, dans  des  conditions  de rupture dans plus  d'un  tiers  des cas. C'est dire  que ces anévrysmes de caractère  familial sont  plus  souvent  et  plus  tôt  sujets à  la  rupture et,  qu'en   conséquence, l'indication opératoire doit être plus précoce.

Si  les  travaux  des   20  dernières  années   ont   contribué  à  démontrer  que   la pathogénie de I'AAA  était  différente de celle  résultant simplement de l'athérosclérose, il reste  qu'il  y a des liens  entre  l'athérosclérose et le développement des AAA.  Cette notion d'une  relation  complexe  entre  formation  des   anévrysmes  et   athérosclérose  est intéressante, parce  que  l'existence de  facteurs de  risque   pour  l'athérosclérose ou  des complications  avérées, déjà  présentes, de  l'athérosclérose, peut  être  un  indicateur  de l'incidence  et de la vitesse  de croissance  des anévrysmes.


Revenons  donc à notre  population de Malmö. BERQVIST se propose  d'examiner systématiquement par ultrasonographie quatre  groupes  particuliers de patients, de façon à  déterminer la  présence  d'un   anévrysme. Ainsi  qu'on   le  voit   dans  le  tableau,  des patients suivis  depuis  cinq  ans pour  claudication intermittente  sont  soumis,  avec un taux de participation de 84%,  à une  ultrasonographie qui met  en évidence  16%  d'anévrysmes chez les sujets  masculins. De même, les patients opérés précédemment de thrombo­endartériectomie carotidienne sont  examinés, avec  un  taux  de  participation de 88%  et une  incidence  reconnue  de  12%   chez  l'homme  et  de  9%  chez  la  femme. Dans  un troisième  groupe   constitué  par  la  fratrie de  patients  opérés   d'anévrysme, avec  une participation de 85%,  le taux  d'anévrysmes diagnostiqué est de 29%  pour  les hommes  et de  6%   pour   les  femmes.  Enfin,  dans  la  descendance  de  patients  opérés   d'AAA,   la participation est  plus  réduite, de 69%, mais  le diagnostic  d'AAA est  posé  chez  21%  des participants  masculins et  de  4%  chez  les  femmes. Ainsi, l'appréciation des  facteurs  de risque  pour   l'athérosclérose est-elle  déjà   un  premier  moyen  d'estimer  le  danger représenté par un anévrysme déterminé.
 

Outre  l'athérosclérose, il  faut  tenir  compte  de ce que  les  travaux  fondamentaux publiés  durant ces vingt  dernières années  nous  ont  apporté   : en simplifiant, disons  que sur  un  terrain génétiquement favorable, il y a une  activation de protéases qui  agissent d'abord  pour   détruire l'élastine, ce  qui   provoque  la  création  d'un   anévrysme  et  sa croissance, et ensuite  pour  dégrader le collagène, ce qui prélude  à la rupture. La rupture est  donc  précédée  d'une  augmentation du métabolisme du collagène. Si la concentration globale  du collagène,  en effet,  n'est  pas modifiée en fonction  de la taille  de l'anévrysme, les  analyses montrent  qu'il  y  a  une  dégradation et  une  néosynthèse  simultanée  du collagène, mais  d'un  collagène dégradé, qui  constitue la majorité du  collagène  présent dans  la  paroi   anévrysmale  rompue. Ceci  explique l'intense  activité  métabolique qui précède   la  rupture, puisque   l'adventice et  la  média  externe synthétisent ces  grandes quantités de collagène  dégradé.
 

Nous  avons   pu,  de  façon   non  randomisée, réaliser  une  étude   pilote  avec  la tomographie à  émission de  positron (PET-scan)   chez  une  vingtaine de  porteurs d ' un anévrysme de  l'aorte abdominale. Nous  avons  observé   chez  certains d'entre eux  une activité  métabolique très   significativement élevée,   authentifiée par  l'existence  d'une hyperfixation au niveau  du PET-scan. La moitié  de ces PET-scans positifs  concernent des patients entrés  dans le service  avec un anévrysme douloureux ou qui  développeront  peu de  temps   après   une  rupture.  Les  résultats  ne  sont   pas  constants, ils  ne  sont  pas répétitifs, mais  ils indiquent une  voie  possible  de mise en  évidence  de la dangerosité  de certains anévrysmes de l'aorte abdominale. Cette  approche, toutefois, n'est  pas encore validée,  loin s'en faut.

 

C. Les marqueurs biologiques du danger de rupture

 

Existe-t-il des  facteurs qui  peuvent inhiber  les  protéases   ou,  au  contraire,  les potentialiser ? Est-ce  que  nous  pouvons  les doser  dans  le sérum,  est-il  possible  de trouver des marqueurs biologiques dont  la détermination permettrait d'isoler un groupe d'anévrysmes en voie d'expansion, en menace de rupture ?

 
1°   Ce  marqueur biologique pourrait  être  la  MMP-9  plasmatique.  Nous  savons qu'elle est  directement  impliquée dans  la  transformation  protéolytique de  la  matrice pariétale aortique. Cette  MMP-9  a  été  déterminée dans  le  sérum  de  trois   groupes de patients : patients atteints d'un anévrysme de l'aorte abdominale, patients présentant une  surcharge de l'aorte abdominale, avec éventuellement claudication, et patients dont l'aorte est  normale. Nous  voyons   que  les  taux   de  MMP-9  sont  très  significativement élevés  dans  le groupe  anévrysmal par  rapport au groupe  qui  présente  un syndrome  de Leriche.

2°   La  signification  de  ce  dosage   de  taux   sériques  plus  élevé   de  MMP-9  est corroborée par  les études  effectuées  sur  des prélèvements de parois  obtenus  lors  de la chirurgie. On voit  que la production de nanogrammes de MMP-9 par milligramme de tissu est très  importante dans les parois  anévrysmales, beaucoup  plus importante que dans les parois qui montrent simplement des signes de surcharge.

3° D'autres groupes  se sont  intéressés  à d'autres marqueurs, en l'occurrence, les dérivés  peptidiques de  l'élastine présents  dans  le sérum  (SEP) et  ils  ont  pu  mettre  en évidence  une  relation entre  la vitesse  de croissance d'anévrysmes asymptomatiques et d'anévrysmes rompus, corrélés  avec  le taux  de SEP. Bien  sûr,  le diamètre initial  n'était pas  le  même   dans  cette   étude,   mais  dans  cette   étude,   la  croissance annuelle  était corrélée avec  des  différences dans  la  valeur   de  SEP, différences peu  importantes  en valeur  absolue, certes, mais significatives.

 4°   D'autres publications, aussi,  se  sont   attachées  à  déterminer le  taux  d'a1- antitrypsines  dans  le  sérum, parce   que  l'a1-antitrypsine est  le  plus   abondant  des  inhibiteurs plasmatiques de  protéases. Son  déficit  prédispose à  l'emphysème par  destruction  des fibres  élastiques des bronches  et certains  reconnaissent un lien  entre  le développement d'un  anévrysme et la présence  d'une  maladie  broncho-pulmonaire chronique  obstructive. Malheureusement, il faut  bien  reconnaître que  les résultats obtenus  à partir  de dosages d'α1-antitrypsines  sont   extrêmement  divergents  et,   à  l'heure  actuelle,  il  nous   est impossible d'avoir une  opinion   quelconque sur  l'importance de  la  détermination de  ce marqueur dans le pronostic  des anévrysmes  de l'aorte  abdominale. 

 

 

D. Mortalité tardive après  intervention

 

 

Depuis  longtemps (DeBAKEY), on sait  que la survie  des anévrysmes opérés n'est pas équivalente à celle  du  groupe  de patients de même  âge  et  de même  sexe n'ayant pas présenté  d'anévrysme. Cette  surmortalité tardive des  anévrysmes opérés  a été  et reste  attribuée aux  conséquences   fatales  de l'athérosclérose, et  ceci est  probablement vrai, mais pouvons-nous nous poser la question  de savoir si la mise à plat de l'anévrysme met  tout  à fait  à l'abri  d'une  rupture ultérieure ?  de connaître  précisément l'incidence  des complications iatrogènes  ultérieures, c'est-à-dire : rupture d'un  anévrysme d'anastomose aortique  et infection  de la prothèse,  avec fistule aorte-digestive?

 
En ce qui concerne  la chirurgie conventionnelle, on sait  que le patient  opéré reste menacé,  même  après  une  opération efficace.  Si le développement d'un  anévrysme  au­ dessus de la prothèse  par dilatation de l'aorte  infra-rénale et supra-rénale est toujours possible, ainsi que le développement d'un  véritable anévrysme thoraco-abdominal, l'incidence de cette  transformation reste, dans les limites de nos connaissances, relativement peu élevée  et liée  au caractère  extensif  de l'atteinte aortique, sans aucune responsabilité iatrogène. Cette  transformation anévrysmale ne requiert pas toujours  une correction  chirurgicale.  Par  contre,  deux   complications peuvent neutraliser l'effet bénéfique   de  la  mise  à plat  de l'anévrysme, ce sont  d'une  part  le  faux  anévrysme  de suture, qui lui est un phénomène  iatrogène non lié à l'évolution de la maladie  aortique, et d'autre  part, le développement d'une infection de prothèse.  L'incidence des infections de prothèses  est  estimée  à  1%  par  an.  La  mortalité, on  le  sait,   en  est  très  élevée, particulièrement en  cas  de  développement d'une  fistule   aorte-entérique. La possibilité d'une  complication létale par  infection par infection ou transformation pseudo­ anévrysmale de l'anastomose supérieure doit  entrer  dans  le calcul  des bénéfices  et  des risques avant  de décider d'opérer  un anévrysme de petite  taille.

 

 

En ce qui concerne  le traitement  endovasculaire, les conclusions  les plus récentes d'EUROSTAR,  présentées  à Londres, il y a un mois, par Peter Harris,  apportent  un bémol inattendu de  la  part   des  partisans de  cette  technique. Après  quatre ans,  le  taux  de réinterventions diverses  est de 12%  dans la population  des endoprothèses, si bien que la mortalité-morbidité associée  à ce phénomène tardif   doit  également être  soustraite du bénéfice théorique  apporté par  la  neutralisation de  l'anévrysme.  Dans  le  cadre  de présentations "Pro  et  Contra", Peter  Harris  proposait donc  de  réserver ce traitement endoprothétique pour  les patients qui  présentent des risques  majeurs pour  la chirurgie, mais dont l'espérance  de vie naturelle  est quand même supérieure  à un an.
 

Revenons  sur notre  calcul  simpliste que j'avais  développé  au début.  Il faut opérer 100  anévrysmes de  l'aorte  abdominale pour  prévenir 14  morts par  rupture. En fait, puisque   14%  de  ces  anévrysmes rompus   sont  opérés  efficacement, ce  n'est  pas  14 ruptures, mais  12  ruptures que  nous  sauvons  par  une  chirurgie  prophylactique.  Nous devons  balancer  cette  prévention de la  rupture chez  12%  avec  la mortalité  opératoire (variable de  deux  à  six)  et  avec  cette   mortalité  tardive, réelle,  mais  bien  difficile à apprécier, et en tout  cas, dépendante du temps.


Au terme  de cette  revue  rapide  sur les risques  et les bénéfices  d'une  intervention et d'une  abstention chirurgicale sur les AAA, il me paraît  que l'évidence  est en faveur  de l'attitude  chirurgicale, au   moins   pour   les  techniques  conventionnelles ; pour   les techniques  endovasculaires, du temps  est encore nécessaire.  Cette évidence est fragile  et reste  tout  le temps  menacée. Que la mortalité opératoire  soit un peu plus élevée dans un groupe   de  patients qui,  par  la  taille   et  les  caractéristiques biologiques, n'a  pas  une histoire  naturelle aussi sombre,  et nous  verrons  les conclusions  se renverser, et devrons constater  qu'une  chirurgie de l'anévrysme, ouverte  ou endovasculaire, réalisée  de façon imparfaite sur une indication  posée à la hâte, s'est révélée être le mauvais choix.

La chirurgie de l'anévrysme est-elle  basée sur l'évidence ? Je n'ai  pas pu apporter de réponse  péremptoire, mais j'ai voulu  simplement indiquer  l'importance du problème  et les  directions dans  lesquelles  nous  devons  travailler pour  pouvoir  dire  oui, la  chirurgie faite  dans  de telles  conditions  et  sur  des patients présentant de telles  caractéristiques s'impose à l'évidence  comme un traitement de choix.

Quelles sont les conditions  qui nous permettront de justifier notre choix ?

1.   Une exigence quant à l'optimisation du risque opératoire,

2. Une   exigence  dans   la   sélection  des   indications  opératoires  sur   les caractéristiques de taille et de croissance,

3.   La nécessité  de moduler  nos  indications morphométriques définies  en 2.

 en fonction :

 •    de l'importance des facteurs de risque pour l'athérosclérose  (tabac)
 

•    du caractère  familial

 
•    (hypothèse  à vérifier)  de l'utilisation de marqueurs  sériques appropriés.
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